La Star Meurtrie

Rose Romy Schneider

  Elle n'acceptait pas l'absence de son fils bien aimé

Elle écrit. A David. Son fils. Aux ombres de la nuit. A ses fantômes. A des amis. A sa mère, Magda. " Je vais acheter une maison à Boissy-sans-Avoir pour vivre au milieu des fleurs. C'est là que je vais élever Sarah, ma fille. Dans son landau que je conserve, je planterai des fleurs de là-bas. Le silence de la nuit apaise Romy. Ou du moins l'apaisait. Plus elle regarde la photo de David, au mur, plus elle revit ce dimanche de juillet 1981 où le petit  s'en est allé. A 14 ans. Pour avoir voulu franchir  trop vite les barrières. A la manière de Romy si impétueuse. Le père de David, déjà, les avait quittés. Il avait choisi de se pendre. Deux  fois, la mort s'est dessinée dans la vie de Romy. Trois fois même. Un infarctus a emporté son père. Le beau Wolf, I'acteur fétiche de
I'avant-guerre, s'était déjà éclipsé sur là pointe du coeur quand elle avait 7 ans. Ensuite elle l'a vu de loin en loin, fier qu'elle lui raconte ses films, ses rôles. Dans sa quête éperdue de l'amour, de l'homme de sa vie, c'est ce père absent dès l'enfance qu'elle a cherché. Laurent Petin est sans doute celui-là.                                                     
   Depuis qu'elle a rencontré ce producteur, son clair sourire est revenu. Romy a besoin d'aimer et d'être aimée, de recevoir et de donner. Très fort. A l'excès. Dans la fièvre. De continuer à être une star aussi. Elle a donc tourné " La Passante du Sans-souci " après la mort de son fils tant aimé, lui dédiant le film, de même qu'à Harry. Romy, face à son destin, s'est retrouvée avec, pour partenaire, un adolescent de 13 ans. Un an de moins que David. Elle a réussi à tenir. Toujours plus troublante. Plus fragile. Au sommet de son art. D'autres films l'attendent. Un nouveau rendez-vous avec Alain Delon notamment, depuis leur dernier film, " La Piscine " , en 1968. Et si tout cela n'était que dérisoire pour la star meurtrie.
Lors d'une soirée, elle a aperçu Anthony  Delon. Elle a été plus que troublée. Le fils de celui qu'elle a aimé à la passion est un jeune homme, séduisant, ... L'image de David lui est apparue, encore plus cruelle. Il était si beau lui aussi. Il aurait été tellement adulé. Pas  seulement de sa mère. De toutes les femmes. Elle est rentrée d'une soirée à trois heures du matin avec Laurent Petin. Le producteur Tarak Ben Ammar leur prête un appartement, rue Barbet-de-Jouy, à Paris. Voyageuse avec peu de bagages, elle essaye d'échapper, de décor en décor, à l'absence de David. Elle se reproche de ne pas l'avoir gardé sans cesse près d'elle, pour mieux le protéger. Elle l'a dit à Michel Drucker, lors d'une interview-vérité: `" La perte de mon fils, c'est un chagrin que je ne
veux jamais oublier. " Alors, à ce David si beau, si angélique, elle écrit, mais aussi elle parle pour réchauffer la froide solitude de ses nuits. Comme si elle le voyait, I'entendait, pouvait le toucher. A une amie, elle a confié: " David va bien. Il est à côté de moi. " Ils ne manquent pas, les amis, pour la soutenir.
Romy a écrit à Maria Schelle: "Merci, comme toujours, tu m'as redonné du courage et de l'énergie. ,' Elle a été ensuite elle-même lui glisser l'enveloppe sous sa porte à l'hôtel. Romy va jusqu'au bout de sa volonté, de son courage. En même temps, elle est entrée dans la ronde des excitants, des pilules pour dormir. Il lui faut vaincre la rondeur des jours et la lourdeur des nuits. Elle boit aussi peut-être trop de champagne. Jamais seule. Elle ne l'apprécie qu'entourée. De ses amis. De ses proches. Sa générosité étonne. Détonne. Elle a offert à son coiffeur, Alexandre, son bracelet en or de chez Van Cleef. Ajoutant: " Porte le toujours en souvenir de moi. "

Pourquoi " En souvenir? " S'est-elle déjà rayée du monde des vivants ? Apparemment pas.Il y a eu les vacances aux Seychelles, là-bas Laurent et Sarah. Là-bas, elle profite de la mer, de la plage, dans une harmonie familiale retrouvée. Au retour elle l s'est occupée de la maison sous les l arbres, à Boissy-Sans-Avoir. Sarah rêvait l elle aussi de ce paradis de verdure et de fleurs. Comme Romy enfant a apprécié le chalet de ses parents en Autriche - où on été prises les photos retrouvées de notre album secret ? Sa mère, dix ans après, a voulu qu'on les voit, en hommage à Romy. Celle-ci avait dit: " Les enfants sont à la fois la mort et la vie". Sarah était donc la. Plus forte que la mort de David. C 'est sentiments là ne se mesurent pas. Un jour, on penche d'un côté, une: nuit, on penche de l'autre.
Comme cette nuit là, le 29 mai 1982. Dans l'appartement, Laurent Petin dort, Sarah et sa nurse, Bernadette, aussi. Romy continue d'écrire. A Michel Drucker, elle a dit encore: " Bien sûr, il y a des moments où l'on a envie de baisser le rideau et de ne plus avoir affaire avec ce métier. Mais j'ai des responsabilités. Je ne suis pas seule. Donc la vie " must go on ". Je poursuivrai de mon mieux
Mon travail. Il faut avancer car on ne peut s'arrêter. On peut fléchir un moment mais il faut continuer. S'arrêter, pour moi, ce n'est pas possible. ", A moins que le cœur ne défaille, ne déraille soudain. Ce qui arrive à Romy dans cette trop longue nuit. Elle n'a plus de forcer pas même celle d'appeler Laurent. Le film de sa vie arrive au mot fin. A 43 ans. Rose-Marie Magdalena Albach Retty - son vrai nom -a choisi Romy Schneider comme nom de star. Elle est devenue la " petite fiancée de l'Europe " avec  Sissi. Puis d'autres rôles l'ont attendue. Pour les plus grands. De Visconti à Sautet. Elle: a tout accepté. Par respect de sa vocation née de l'hérédité. Par respect du public. Même de s'enlaidir pour "  Fantôme d'amour ", de Dino Risi. Un masque de
rides qu'on lui appliquait chaque matin pour d'interminables scènes. Elle se bagarrait alors avec son rôle comme avec la vie. Supportant mal son nouveau divorce d'avec le père de Sarah.
Peut-être ne s'est-elle jamais imaginée vieillissante. Peut-être sait elle au plus profond d'elle-même qu'au moment où elle connaît le vrai bonheur avec Laurent, elle doit rejoindre David. Elle s'allonge sur le canapé. Laurent Petin va la découvrir au petit matin, dans cette position, le stylo à la main. Il n'y aura pas d'autopsie. Décision sage de la justice à visage humain. Comme il n'y a pas eu crime, on ne détruira pas le mythe en cherchant à savoir. Comme l'a écrit Catherine Hermary-Vieille " Elle était Romy et nous l'aimons encore. "